Symbole de la lutte anticoloniale, la victoire d'une petite troupe de
rebelles rifains sur l'armée espagnole le 21 juillet 1921 à Anoual
marque le début de la guerre du Rif. Celle-ci durera cinq ans. Elle
constitue évidemment un tournant de la résistance au double protectorat
espagnol et français instauré au Maroc en 1912. Mais elle marque surtout
la naissance d'un mythe : celui d'Abdelkrim, héros de guerre, fin
stratège et chef charismatique de la rébellion.
Cela fait dix ans
que l'Espagne tente tant bien que mal d'administrer la région nord du
Maroc placée sous son autorité. Mais ses troupes se heurtent
continuellement à des poches de résistance, particulièrement dans la
région montagneuse du Rif. Au début de 1921, une tribu rifaine, les Aït
Ouriaghel, de la région d'al-Hoceïma, déclenche véritablement les
hostilités. À sa tête, un jeune - il n'a pas 30 ans - fils de cadi («
juge ») du clan des Aït Youssef. Journaliste à ses heures, il a étudié
la technologie militaire en Espagne avant d'entrer dans l'administration
espagnole. Son nom : Mohamed ben Abdelkrim al-Khattabi, alias
Abdelkrim.
Le général Manuel Fernández Silvestre, qui commande
les forces espagnoles dans la région, est convaincu d'avoir affaire à
une petite bande de brigands et n'envisage pas une seconde d'arrêter la
progression de ses troupes vers le cur du Rif. Abdelkrim lui fait alors
porter un message d'avertissement
que le fier général choisit
d'ignorer. Il charge néanmoins l'un de ses chefs de bataillon, Jésus
Villar, de poster 250 hommes à Abarran, à 5 km à l'est d'Anoual. Le 1er
juin 1921, les hommes de Villar ont à peine pris position qu'ils se
trouvent encerclés par un millier de combattants rifains proprement
massacrés. Une poignée d'entre eux seulement parviennent à s'échapper,
abandonnant leur artillerie aux combattants d'Abdelkrim.
Grâce à ces
canons, ces derniers poursuivent, près de deux mois durant, leur
offensive. Dans l'après-midi du 21 juillet 1921, à Anoual, 3 000
combattants rifains postés sur les hauteurs du Jbel Gourougou, au-dessus
de Mellila, fondent sur les 15 000 soldats espagnols, les contraignant à
battre en retraite. Au bout de trois semaines de combats acharnés, le
contingent espagnol est taillé en pièces et le général Silvestre tué.
Cette défaite cinglante des forces coloniales allait être lourde de
conséquences, de part et d'autre de la Méditerranée. Car c'est cette «
humiliation », qui, en 1923 à Barcelone, incitera le général Miguel
Primo de Rivera à lancer un pronunciamiento et à instaurer une dictature
militaire. L'Espagne est d'ailleurs tentée de se retirer du Maroc, mais
la France, craignant la contagion dans ses colonies, refuse de laisser
les insurgés impunis. Le maréchal Lyautey, le résident général français,
prend le commandement des opérations.
Abdelkrim et les siens
continuent en effet de résister. En avril 1925, ils parviennent même à
repousser les troupes françaises plus au Sud, vers Fès et Taza. Après
cet échec, Lyautey présente sa démission et c'est au maréchal Pétain, le
vainqueur de Verdun pendant la Première Guerre mondiale, qu'est confiée
la mission de « mater » les rebelles rifains. Dès son arrivée, il
déclenche une terrible contre-offensive - avec recours massif à
l'aviation et largage de « bombes asphyxiantes » - et unit ses forces à
celles de l'armée espagnole. Ce sont désormais 500 000 soldats conduits
par 40 généraux que doivent affronter les hommes d'Abdelkrim. Face à un
tel déploiement de force, ces derniers ne tiendront pas longtemps. En
mars 1926, après l'échec des pourparlers de paix d'Oujda, le chef des
rebelles n'a d'autre choix que de se rendre. Le 27 août 1926, il est
exilé sur l'île de la Réunion, où il passera vingt longues années.
L'ultime
coup de théâtre a lieu en mai 1947. Au cours de son transfert vers le
sud de la France, Abdelkrim profite d'une escale à Suez pour s'évader et
s'installe en Égypte, où il résidera jusqu'à sa mort, le 6 février
1963. Le président Gamal Abdel Nasser lui offre des funérailles
nationales, en hommage à ses actes de bravoure et ses hauts faits de
résistant qui furent un modèle pour tous les pays ayant subi
l'occupation.
Jeune Afrique
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