De l’impérieux besoin de sauver
les lettres et les sciences humaines au Maroc
les lettres et les sciences humaines au Maroc
«
La littérature est une affaire sérieuse pour un pays,
elle est au bout
de compte, son visage »
Louis ARAGON
« C’est à travers les mots,entre les mots,
qu’on voit et qu’on entend »
Gilles DEULEUZE
Depuis les années soixante-dix, les lettres et sciences humaines furent
indubitablement combattues. Si l’enseignement de la philosophie a été
restreint aux seules universités de Rabat et de Fès, l’institut de
sociologie ne fit pas long feu et fut fermé en 1971. Les études
islamiques firent leur entrée à l’université et constituèrent des
pépinières répandant une vision wahhabite de l'Islam, dans le dessein de
contrecarrer le ras de marée de la pensée de gauche.
Les lettres et sciences humaines furent combattues d’une manière plus
insidieuses encore à travers une soi-disant carte scolaire permettant à
des élèves avec des moyennes au-dessous de ce qui est concevable
d'accéder à la filière littéraire au lycée et regagner plus tard les
bancs de l’université. La baisse du niveau prendra un tournant de façon à
former une boucle infernale. Les multiples réformes de l’enseignement
ne firent qu’enfoncer encore plus le clou.
Il faut sauver les lettres et sciences humaines de cette distension des
effectifs sans réel potentiel, mais il est d’autant plus urgent de les
protéger des intentions assassines formant un iceberg, dont les
déclarations de l’actuel ministre de l’enseignement supérieur ne sont
que la partie visible. Les lettres et sciences humaines font peur. Par
les compétences en communication, en argumentation et en analyse qu’elle
transmettent, bien que les vrais bénéficiaires restent élitistes, elles
ont le potentiel de former des lauréats bien équipés pour la vie
citoyenne avec une conception plus critique du fonctionnement de la
société et de l’Etat. Une vision qui est plus que jamais nécessaire dans
une société complexe, en perpétuel changement et confrontée à des
problématiques humaines et identitaires d’une grande acuité. Or le
véritable dilemme de notre pays réside dans l'incompatibilité des
exigences de l'évolution et de la modernité avec la volonté politique
des dirigeants.
La majeure partie des élèves marocains qui arrivent dans ces filières en
étant démunis des bases les plus rudimentaires de maîtrise de langue,
de méthodologie et de connaissances, souffriront d’une carence majeure
de clés de lecture des réalités économiques, sociales et culturelles.
Les lettres, les sciences humaines et sociales ont un rôle essentiel à
jouer dans la formation citoyenne. A l’heure où l’on s’interroge sur la
manière de faire face au défi intégriste, ces spécialités, si elles sont
bien enseignées ne sont-elles au moins autant à même que les sciences
exactes de doter les élèves d'un esprit critique?
Pour assurer à tous les étudiants universitaires y compris les
scientifiques l’indispensable outil d'analyse de synthèse, ne serait-il
pas bien plus judicieux, plutôt que taxer les lettres et sciences
humaines et sociales d'être à l'origine des pires maux que, d’affecter
davantage de temps d’apprentissage à ces «humanités», dans leur
ensemble, en les intégrant aux cursus des facultés de sciences et
techniques et autres facultés de médecine et aux écoles d'ingénieurs au
lieu d'y laisser fleurir des discours appelant à l'exclusion et à la
violence au nom d'une lecture unilatérale du texte religieux. Les
discours de minorisation des lettres et sciences humaines ne peuvent
conduire qu’à un déficit de formation, donc à un déficit de
compréhension au détriment du «vivre ensemble » auquel les
établissements universitaires devraient pourtant oeuvrer. Les humanités
peuvent fournir un outil efficient dans «la construction» du citoyen
digne des temps modernes.
Or, la volonté, me semble-t-il, est toute autre chez nos responsables.
Au souci sécuritaire qui fut de tout temps le facteur déterminant de la
politique de l’éducation nationale, s’adjoint donc aujourd’hui celui de
l'inquiétude quant à l’employabilité des milliers de lauréats des
facultés de lettres et sciences humaines. Ces derniers envahissent, par
vagues, la principale avenue de la capitale en revendiquant le
recrutement dans la fonction publique. A ceux qui prétendent que ces
milliers de jeunes ne doivent pas réclamer des emplois dans la fonction
publique, l’on peut facilement répliquer que ceci est le propre de toute
économie de rente. Comment pourrait-on leur contester «leur droit» dans
un état permettant à d’autres de s’enrichir à ses dépens à travers les
rentes de carrières, de transport public et de pêche en hautes mers sans
tomber dans la contradiction? Assainissons tout d’abord notre économie
des catégories appartenant aux «ayants droit» avant d’appeler à la
rationalisation des dépenses publiques.
Et si notre gouvernement faisait preuve d'un peu de créativité, il
pourra mieux répondre à ces problématiques de grande acuité. Tout
d'abord, il faudra arrêter de prendre les options littéraires pour des
«fourre- tout» en y embarquant des élèves ayant des moyens très bas. Il
est urgent de rendre à ses spécialités leur lettre de noblesse par la
création de classes préparatoires qui seront à même de former des élèves
susceptibles d'exercer les métiers d'enseignement et de recherche, ce
qui ne peut manquer de renforcer les capacités d'apprentissage et
d'éducation de nos futurs enseignants. N'oublions pas que le Maroc est
en passe de connaître une pénurie d'enseignants vue les départs massifs à
la retraite. Il faudra ensuite diversifier l'offre par la création de
licences professionnelles dont le principal avantage est de doter
l'étudiant de capacités opérationnelles sitôt diplômés. Il aura à
suivre les cours à option, les stages et les formations complémentaires
plus appliquées pour intégrer facilement le marché d'emploi. En plus des
connaissances théoriques, il affinera sa spécialité par une
connaissance du terrain par le biais d'une formation professionnelle
parallèle qui l'orientera vers l'administration ou le secteur privé.
Ainsi, la sociologie et la psychologie offriront des débouchés dans le
secteur social, le marketing, l'histoire, le philosophie et les lettres
permettront l'embauche dans l'édition, la documentation et la culture.
Rappelons que le Maroc manque cruellement de médiathèques et de
bibliothèques municipales dont le rôle principal est de contribuer à la
formation de citoyens cultivés et responsables et de leur faciliter
l'accès au droit universel à la culture. Les métiers du cinéma et du
théâtre représentent également d'excellentes perspectives à condition de
la mise en place d'une politique culturelle qui allie les soucis de
rentabilité à la formation citoyenne des marocain.ne.s.
Sous d’autres cieux, l’importance des lettres et sciences humaines ont
été saisies notamment par de grandes entreprises. Aux États-Unis, le
géant d’Internet Google a annoncé en 2011 que la majorité des 6 000
personnes qu’il embauchait seraient diplômées en arts et en sciences
humaines. En France, l’opération Phénix, entre autres, a été mise en
place pour faciliter l’intégration des diplômés en LSH afin de
diversifier le personnel.
En occident, chefs d’entreprise, publicitaires, directeurs de marketing,
militaires, journalistes…Qu’ils aient étudié en histoire, en
sociologie, en philosophie, en sciences politiques, en art ou en
littératures, ont réussi à intégrer le marché du travail et y ont brillé
grâce notamment à des compétences d’analyse et de synthèse.
Polyvalents, créatifs, ces diplômés peuvent s’adapter à toutes sortes
d’environnements et de situations.
Enseigner les «humanités» est aujourd'hui une question d'utilité sociale
et nationale. Si certains appellent de leurs vœux à leur fin prochaine,
les universitaires de ces disciplines sont présents dans la plupart des
grands débats nationaux. Par ailleurs, le classement international des
universités QS (Quacquarelli Symonds) dont le ministre actuel semble si
soucieux se fait également par discipline, celui rendu public fin
février a réservé des places de choix à des universités de sciences
humaines et sociales grâce notamment aux citations de leur recherches et
leur réputation académiques et auprès des profesionnels.
Les lettres et sciences humaines et sociales sont d’une importance capitale pour l’avenir du pays. Le traitement des problèmes qui les accompagnent ou les entourent ne saurait souffrir une quelconque improvisation.
Les lettres et sciences humaines et sociales sont d’une importance capitale pour l’avenir du pays. Le traitement des problèmes qui les accompagnent ou les entourent ne saurait souffrir une quelconque improvisation.
0 commentaires:
إرسال تعليق